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Le projet de loi de Mme Gaillot (EDS) sur l’allongement du délai de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) provient d’un rapport d’information du 16 septembre 2019 de deux députées Mme Battistel (PS) et Mme Muschotti (LRM) sur l’accès à l’IVG. Le rapport mettait en avant que cela restait « un parcours semé d’embûches ».

Que permettra la nouvelle loi ?

Le projet de loi 3292, passé en commission le 8 octobre 2020 par la députée du Val-de-Marne Albane Gaillot (EDS), appelle à un allongement de deux semaines l’accès à l’IVG (14 semaines de grossesse ou 16 semaines d’aménorrhée qui signifie l’absence de règles). Les femmes vivant dans des territoires avec peu d’infrastructures médicales et/ou qui subissent des refus de prises en charge dans les derniers jours pourront être soignées plus facilement. Actuellement, lorsque le délai est dépassé, les femmes doivent se rendre à l’étranger où la législation est plus progressiste en la matière. On peut citer les Pays-Bas ou l’Espagne, où la limite d’accès est respectivement de 22 semaines et 14 semaines. Le projet de loi prévoit de supprimer la double clause de conscience spécifique à l’IVG pour éviter les errances médicales. En effet, tout médecin dispose de la possibilité légale de ne pas effectuer un acte médical ; et dans le cas de l’IVG, il peut aussi refuser de la pratiquer pour des raisons morales  (la « double clause de conscience »). Dans ce dernier cas, un praticien n’est pas obligé d’orienter sa patiente vers un autre professionnel. De plus, le projet de loi permet de donner plus de pouvoir d’action aux sage-femmes en leur autorisant l’IVG chirurgicale jusqu’à 10 semaines de grossesse.

Les instances médicales et gouvernementales peu enclines aux changements

Quelques jours avant le passage du projet de loi à l’Assemblée Nationale, des réticences se sont vite fait entendre. Celles-ci viennent notamment par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) sous la voix de son président Israël Nisand qui examine sous un angle différent le projet de loi. Le 1er octobre 2020, il affirme dans un communiqué que le projet de loi et notamment de la suppression de la double clause se moque de l’esprit de la loi Veil de 1975 « qui ne faisait pas de l’IVG un moyen de contraception ». Le CNGOF estime que les principaux problèmes des IVG hors délais sont dû au fait que les services hospitaliers sont débordés et que le maillage territorial est imparfait. Son président ajoute qu’allonger de deux semaines amène un problème de ressources humaines ainsi qu’un refus des praticiens de pratiquer l’opération car la technique d’extraction ne sera pas la même. De plus, le CNGOF s’oppose à la délégation de compétences aux sages-femmes pour opérer des IVG chirurgicales jusqu’à la 10ème semaine de grossesse puisqu’elles n’ont actuellement pas les compétences nécessaires. Le gouvernement se veut prudent. En effet, le ministre de la Santé, M. Olivier Véran affirme qu’il s’agit d’un sujet sensible et qu’il est prématuré d’allonger le délai au vu du peu d’informations dont le gouvernement dispose. Il a par ailleurs saisi le Comité consultatif national d’éthique, estimant que le projet de loi vise à modifier le droit en matière éthique. Mme Marlène Schiappa, ministre en charge de la Citoyenneté, est également opposée à cette mesure et estime que la priorité est d’avoir un meilleur maillage territorial.

Des points de vu différents selon les professionnels de santé

Le point de vue du CNGOF ne fait pas l’unanimité. Dans une tribune publiée le 7 octobre 2020 dans L’Obs, certains gynécologues-obstétriciens s’insurgent et dénoncent les propos d’Israël Nisand qui selon eux n’engagent que lui et ne correspondent pas aux réalités du terrain. En effet, ils estiment qu’un meilleur maillage territorial des infrastructures médicales pratiquant l’IVG ne suffira pas à répondre aux problèmes actuels. Pour eux, c’est l’extension des délais qui permettra aux femmes aux situations complexes (violences, viols, etc.) de se faire prendre en charge et d’être accompagnées de façon adaptée en toute légalité. Ils rajoutent qu’à 14 semaines de grossesse la technique d’IVG est quasiment la même qu’à 12 semaines. Ces praticiens rappellent que les sages-femmes pratiquent déjà  des IMG (Interruption Médicale de Grossesse), et qu’elles se sentent prêtes à se former à l’IVG chirurgicale à l’instar de nos voisins européens. Les médecins ajoutent que la double clause de conscience n’apporte pas de sécurité supplémentaire aux femmes, elle n’a donc aucune raison d’être maintenue.

Des solutions ?

Plusieurs alternatives sont proposées. Mme Amina Yamgname interrogée par France Culture le 21 octobre 2020 souhaite, comme d’autres praticiens, que « l’interruption volontaire de grossesse formulée par une femme soit gérée comme une semi-urgence, que dans les cinq jours ouvrables, quoi qu’il arrive, elle se présente à un professionnel de santé qui peut être un médecin généraliste, un gynécologue ou une sage-femme, tous trois formés à ces problématiques, d’être accueillie et d’être orientée vers le centre de prise en charge en fonction d’une prise en charge médicamenteuse ou chirurgicale ». D’autres médecins soutiennent qu’une meilleure compréhension par les jeunes médecins, de l’importance du droit des femmes à disposer de leur corps et du recours à l’IVG si elles le souhaitent, suscitera plus de compréhension. La revalorisation financière de cet acte serait également un moyen d’inciter plus de praticiens à poursuivre dans cette voie. Néanmoins, au delà de l’extension du délai, la solution pour laquelle les professionnels de la santé s’accordent tous est d’améliorer le maillage territorial des infrastructures afin que chaque femme puisse accéder facilement à l’IVG où qu’elle soit.